EPISODE 7:
Le Yucatàn est un gruyère, et la région de Mérida est un peu le coeur de la meule. Le fameux astéroïde anti-dinosaure qui s'est écrasé en 65'000'000 av. J-C à quelques kilomètres plus au nord, au large du port de Chicxulub, a poinçonné le plateau karstique d'une couronne de cénotes. Les plongées se déroulent à la circonférence du cratère.
Nous plongerons donc deux jours de suite dans certaines de ces bassines avec un centre de la banlieue de Mérida, Adventures Tour Yucatàn. Le contact nous avait été donné par les Cenote Guys, et j'avais trouvé le contact très pro au moment d'organiser les sorties via WhatsApp au printemps. Les cénotes de Mérida sont beaucoup plus sauvages que ceux du Quintana Roo, et souvent beaucoup plus difficiles d'accès. Pour les deux premières plongées, notre choix s'est porté sur Nah Yah et son voisin Noh Mozon. Nous ferons l'erreur de rejeter la proposition de covoiturage du club en préférant suivre leur van avec notre Suburban de loc. Après 40 bornes d'autoroute vers le sud, nous nous engageons sur une piste forestière caillouteuse qui nous mènera cahin-caha à Nah Yah, après une bonne demie-heure de ballottements. Je sens que le Suburban, qui commence à faire son âge, n'apprécie que moyennement. Il nous dépose néanmoins au bord de la fosse. Elle est encaissée, profonde. Nous descendons nous équiper sur une petite plateforme en empruntant une échelle de meunier moussue qui a déjà dû fracasser son lot de coccyx d'open water. Le lieu est sépulcral. A l'image de la majorité des cénotes de la région, l'ambiance n'est pas à la kermesse. En guise de divertissement, on nous promet des ossements sacrificiels à 30 mètres.
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Après une heure de recueillement monochrome dans ces catacombes aquatiques, le chatoiement du plumage du motmot qui vient se percher au-dessus de nos têtes nous rappelle que la couleur, c'est la vie !
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Nous profitons de l'intervalle de surface pour nous diriger vers Noh Mozon, une fosse située à quelques encablures. Nous poursuivons donc le sentier ingrat dont l'épiderme de latérite se fait de plus en plus mince au fur et à mesure de notre progression, et ce qui devait arriver arriva: une lame de karst un peu plus acérée que les autres finit par éventrer le pneu arrière du Chevrolet. Nous abandonnons l'épave dans la jungle et finissons le trajet dans le van du centre. Arrivés à Noh Mozon, nous tentons un SOS désespéré mais l'écho de nos mobiles se perd sous la frondaison. Pas le début d'une barrette de signal. Il se confirme que pour changer la roue, nous serons livrés à nous mêmes et aux hordes de moustiques qui n'attendent que de pomper du touriste en détresse, mais au grand dam de tous ces shadoks de l'hémoglobine, nous décidons de plonger d'abord, en remettant la partie de Mecano à plus tard. Noh Mozon est le petit frère de Nah Yah, en plus monumental. La fosse est surmontée d'un dôme d'une quinzaine de mètres d'où pendent les lianes comme les cordes d'une potence. Ambiance...
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Là encore, nous ne trouverons pas l'interrupteur. Le soleil déclinant de l'après-midi à de la peine à se frayer un passage au sommet de la coupole. Nous y croiserons vers 30 mètres les reliques d'un maya au destin peu enviable, avant de décider de remonter pour jouer de la manivelle.
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Il nous faudra une heure avec le guide et le secours de deux villageois voisins pour changer la roue rouillée du tracteur qui nous sert de bagnole. De retour à Mérida à la tombée de la nuit, nous échangerons notre tank américain contre un van japonais en meilleure forme.
Le lendemain, nous nous laisserons convaincre par le covoiturage, direction Calcuch. Le trajet est tout aussi pénible. Plonger à Mérida, c'est la condamnation sans appel à une peine de tôle, ondulée. Et si la veille les accès aux cénotes étaient scabreux, à Calcuch ça relève de l'expédition commando.
20 mètres de descente verticale dans ce qui fut jadis un escalier en colimaçon. Au vu de l'état des marches, il ne fait aucun doute que le dernier humain à être descendu dans ce trou à rat devait encore être un adorateur du serpent à plumes. Je m'équipe, bloc sur le dos, palmes dans la main droite, caisson dans la gauche, je rassemble tout ce qu'il me reste de proprioception sous mes bottines de néoprène, et je m'engage dans la spirale vermoulue. La guide me précède pour ralentir une glissade dont la probabilité augmente proportionnellement à l'indice de pourriture des marches. Mais le miracle se produit. Nous atterrissons sains et saufs sur la plateforme flottante qui nous servira de radeau. Nous enchaînerons deux plongées à Calcuch. Le fond du cénote est couvert de dunes de sable blanc sur lesquelles s'écrasent des rayons filtrés par une couche de poussière en surface. Je me mets à m'imaginer derrière la caméra de "Rencontre du 3ème type"...
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Dans ce décor intergalactique, mon fils tentera une dernière sortie extra-véhiculaire le temps de quelques exercices de voltige en impesanteur, à contre-jour.
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De retour à Mérida, nous mettrons un terme définitif aux expériences troglodytes pour aller nous réacclimater à la vie terrestre dans la quiétude du Campeche.